La vision républicaine définit une nation non par une identité commune mais comme un projet collectif fondé sur des valeurs, principes et responsabilités partagées, visant le Bien commun et faisant vivre le contrat social.
La République française se construit sur un équilibre entre unité nationale et reconnaissance de la diversité culturelle, rejetant à la fois l’homogénéisation forcée et le communautarisme, tout en promouvant l’intégration des citoyens dans le respect de l’ordre républicain.
L’identité nationale n’est pas une valeur républicaine
Le terme « identité nationale » a pris une place importante dans les débats, en France, depuis une trentaine d’années. Il laisse supposer, dans un pays, il pourrait exister un ensemble commun de caractères, comportements et idées identiques qui constitueraient l’identité même d’un peuple et de ses membres.
Chacun mesure les risques d’une équation qui associerait une culture uniforme à une nation donnée et ferait de l’appartenance nationale un chemin de déracinement. Cette notion d’identité nationale pousse l’Etat, dans une vision intégriste du nationalisme, à outrepasser son rôle en imposant, de manière plus ou moins pressante, une uniformisation des imaginaires et des comportements constitutifs de l’existence humaine comme, par exemple, s’exprimer dans une langue régionale, pratiquer publiquement une religion, cultiver ses racines, tirer parti de ses héritages.
Fort heureusement, la vision républicaine permet de sortir de l’impasse d’une supposée identité considérée comme une prétendue valeur qui nourrirait une idéologie identitaire. L’approche française permet de définir un champ de valeurs, principes et responsabilités aux personnes rassemblées dans une même nation, tournées vers une perspective commune, un destin partagé, un projet collectif. La nation n’est pas l’objet d’une identité mais le ciment unificateur de groupes divers, le sujet d’une adhésion, comme un matière à respect des valeurs, principes et responsabilités qui la fondent, l’organisent et l’animent.
Il revient à l’Etat de droit de définir les principes d’appartenance à la nation qui conditionnent la reconnaissance de la citoyenneté, de déterminer le contrat social et ses règles de vie en commun et, enfin, d’en garantir le respect.
Si les valeurs fondamentales, les principes de droit et les responsabilités de la République sont bien posés comme les fondements du contrat social alors l’appartenance à la nation impose l’adhésion à ces valeurs, principes et responsabilités et leur respect devient un impératif d’ordre public. Alors la République peut sereinement aborder la question de l’identité non comme une menace mais comme une singularité voire une richesse. Or, dans la République, il existe plusieurs identités, faites de caractères, comportements et croyances différentes selon les régions, les racines, les parcours.
Autrement dit, une nation est composée d’individus qui ont des racines et des héritages culturels qui ne sont pas tout à fait identiques. Cette diversité est « culturelle » et elle ne remet pas en cause l’Etat si les règles d’appartenance et les règles communes sont bien posées et respectées.
Par exemple, le simple fait que, en France, des personnes cultivent une langue tout en acceptant les règles d’usage de la langue officielle ne remet en question ni l’ordre républicain, ni la citoyenneté, ni l’unité de la nation.
C’est une pareille approche, nationale et républicaine qui permet de reconnaître aux citoyens le droit de vivre, s’exprimer et créer selon leurs racines culturelles, sans replis identitaires ni communautarisme, dès lors qu’elles sont subordonnées aux valeurs, principes et responsabilités de la République.
A l’opposé, les tenants de l’identité nationale sont les mêmes que ceux de la préférence nationaliste, voire de la préférence régionaliste prônée par certains autonomistes. Ces approches reposent sur une logique de rejet des nouveaux citoyens et des étrangers qui, en toute légalité, sont accueillis en France.
La Nation contre les replis identitaires mais en quête de racines
Les identitaires qui invoquent la notion de chrétienté pour défendre les thèses de préférences nationalistes, ignorent les origines juives et l’influence de la pensée grecque dans la naissance et la croissance du christianisme. Ils oublient que le Proche-Orient est au cœur du christianisme, le fruit de relations, implications et interactions entre l’Orient et l’Occident, anciennes et complexes. Ils ignorent que notre patrimoine culturel trouve sa source dans le Proche-Orient antique. Ils méconnaissent ce que représentent l’invention de l’écriture et de l’alphabet par les sumériens vers 3 400 avant J.C., les mythes fondateurs ou bien les premières civilisations urbaines.
Ces sources font partie des racines de la République mais aussi de l’Union européenne.
La réalité territoriale tient une place centrale dans l’identité et l’imaginaire des citoyens. Les territoires font la France et la nation tout autant qu’ils se projettent dans la République.
Les demandes des citoyens sont de l’ordre de la proximité, la clarté et l’efficacité. Les territoires ne sont donc pas seulement un échelon de mise en œuvre et de déclinaison, des niveaux de contraintes et de nécessités d’une volonté, procédant du haut, l’esprit en surplomb du corps. La compréhension des territoires et l’acceptation de leurs différences est conciliable avec la vision d’une nation fondée sur des valeurs, principes et responsabilités partagés et un destin commun. Il appelle « esprit des lieux », le mouvement d’action du réel depuis le bas, du corps vers l’esprit, dans une cohérence entre gouvernement des hommes et gouvernement des territoires, entre leurs cultures locales, leurs façon de produire, d’échanger et de s’assembler politiquement. Ce mouvement dessine une mosaïque d’esprit des lieux les plus diversifiés. Or, pour vivre ensemble, et pour ne pas de replier sur leurs territoires de manière régressive, ne pas sombrer dans les identitarismes locaux, dans le néo-ruralisme, la célébration des terroirs ou dans le régionalisme, ces lieux doivent se projeter dans la nation, à travers l’espace et le temps. Activer l’esprit des lieux, c’est faire jaillir les ressources de dynamisme qui font qu’un territoire puisse se mettre en mouvement, par exemple autour de l’innovation économique, les transitions écologiques ou la participation citoyenne. Cependant, ne pas reconnaître une identité nationale pour célébrer des identités territoriales serait paradoxal et tout aussi contraire à l’approche républicaine.
La République fait du commun qui autorise l’enracinement. Elle garantit l’unité, l’égalité et la continuité territoriale qui assemblent les territoires et leurs habitants. Elle est un effort de conciliation entre l’égalité et la diversité, la liberté et la solidarité. Sa cohésion dépend de l’équilibre entre les valeurs, principes et responsabilités qui fédèrent la nation et l’enracinement culturel qui crée une large part d’identité propre à chacun des citoyens de la République.
Anthropologues et sociologues rappellent que l’identité culturelle n’est pas un invariant : au sein d’un même groupe, les individus ont des racines distinctes qu’ils peuvent appréhender et s’approprier différemment comme étant « leur » identité culturelle. Ce qui est appelé culture est une agrégation de caractéristiques communes qui évoluent au fil du temps ; elle n’est pas immuable. L’intégration n’est pas une assimilation, qui conduit à supprimer ou à oublier sa propre identité. Or, la culture, au sens large du terme, est un des principaux vecteurs d’identité dès lors que, en France, aucune de ses pratiques ne contrevienne aux valeurs, principes et responsabilités de la République.
L’identité nous indique qui nous sommes. Elle nous permet de savoir dans quels pays, familles, généalogies, mémoires, liens de solidarité, paysages, s’inscrit notre vie.
La nation contre le communautarisme mais capable d’exprimer les racines culturelles
Inconnu dans les années 1970, reconnu par le dictionnaire en 1997, le mot « communautarisme » est devenu l’un des leitmotivs du débat public. Terme péjoratif utilisé par les républicains, il vise à asseoir une conception unitaire de la nation autour de valeurs dont celles d’égalité et de laïcité. Il vise à repousser ce qui menace la cohésion nationale.
L’unité de la nation exige la disparition des ghettos et des particularismes, les clivages ethno culturels ou identitaires, et l’affirmation d’une vision universelle. Quand les minorités se distinguent, une vision traditionaliste considère qu’elles menacent l’unité de la République et du peuple français : on les soupçonne immédiatement de déloyauté. La France est allergique à la pluralité des appartenances. Cette méfiance envers les communautés est le fruit d’une longue histoire.
La République proclame la liberté des opinions, “même religieuses, mais – et la nuance est fondamentale – il n’est pas imposé à l’individu de se faire cataloguer comme catholique, protestant, musulman ou juif. C’est la communauté nationale qui définit les citoyens et non leur croyance. La Constitution de 1958 exprime cette tradition universaliste : la France, proclame son article premier, est une République « indivisible ». C’est au nom de ce principe que le Conseil constitutionnel refusa, en 1999, de donner son aval à la Charte européenne des langues régionales : « Ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. »
Le refus du communautarisme et du multi-ethnisme, le respect de la valeur constitutionnelle d’égalité, laisse toutefois des champs libres d’existence et d’expression qui peuvent permettre d’exprimer les racines culturelles. Il n’est pas souhaitable que tout le monde devienne semblable. Il paraît abusif de disqualifier la diversité culturelle de certains nationaux.
Dans cet esprit, relevons la pensée de Raimon Panikkar (1918-2010) qui souligne la nécessité de rechercher « l’harmonie et la concorde sans tout réduire à un même dénominateur commun ». Cet auteur a exprimé sa conviction que « sans une vive conscience interculturelle, nous sommes trop souvent victimes, même inconsciemment, de la pensée unique, qu’on l’appelle marché, démocratie, science, ordre mondial, Dieu ou Vérité, symboles d’autant plus dangereux qu’ils sont inspirés par de bonnes intentions. »
Selon Raimon Panikkar, l’interculturalité demande d’entrer dans le dia-logos (passage à travers la parole) pour parvenir à ce que l’autre veut dire. Ce dialogue interculturel, qu’il qualifie de « dialogal » – en opposition au « dialogue dialectique » qui cherche à convaincre –, présuppose « une confiance réciproque pour s’aventurer ensemble dans l’inconnu ». En ce sens, ce penseur refuse le terme d’« inculturation » (pour parler de l’implantation d’une culture), préférant celui d’« interculturation ».
L’interculturalité se démarque de l’idéologie de la diversité, de l’idéologie multiculturaliste qui, au-delà de la lutte fondamentale contre toute discrimination, tend à produire des identités ethniques, de genre et de sexualité qui séparent les populations selon leurs mode de vie, leurs normes, leurs lieux de vie, et empêchent la société d’être à l’écoute des personnes de toutes conditions et de devenir une force fédératrice. D’ailleurs cette idéologie avoisine souvent celle qui déconstruit l’idée même de nation en la présentant comme artéfact, fiction ou illusion.
Appartenir à la nation et adhérer aux valeurs de la République n’imposent pas une identité culturelle uniforme
Du fait de sa faiblesse démographique, la France, dès le dix neuvième siècle, a été une terre d’accueil pour de très nombreux immigrants, essentiellement d’origine européenne : au niveau de ses grands-parents et arrière-grands-parents, un français sur quatre se trouve avoir un ascendant d’origine étrangère.
Historiquement notre pays, porté par des valeurs universelles héritées de la révolution de 1789, a toujours privilégié le principe d’une adhésion individuelle des nouveaux citoyens aux valeurs républicaines (il en résulta durant longtemps une grande ouverture aux réfugiés). Pratiquant avec succès une politique d’assimilation notre pays a cependant tardé à se reconnaître pleinement comme une nation d’immigration (aujourd’hui, en Ile-de-France, 37% des jeunes sont d’origine « étrangère »).
La situation s’est compliquée ces dernières décennies du fait de l’évolution des flux migratoires devenus plus extra européens. Après s’être enrichi d’apports migratoires importants, mais proches sur le plan ethnique, religieux et culturel, notre pays a maintenant du mal à intégrer socialement les migrants les plus récents, et leurs enfants, notamment ceux d’origine maghrébine et africaine sub-saharienne. La question religieuse prend de l’importance du fait d’un Islam devenu la seconde religion de France par le nombre de ses fidèles. Le sentiment d’être rejeté alimente des revendications de plus en plus nombreuses au-delà de la demande légitime de pouvoir disposer de lieux de cultes décents. L’insertion de ces populations nouvelles dans la société française est devenu un défi majeur à relever au même titre que celui du vieillissement général de la population. Les politiques d’intégration sont aussi devenues moins efficaces du fait de l’affaiblissement des outils d’insertion dans le tissu social français.
Nombre de personnes admettent mal la disparition de notre supposée identité nationale du fait de cette immigration dans un contexte marqué par le poids de l’immigration familiale par rapport à l’immigration de travail, par une pression migratoire croissante aux frontières de l’Europe, par la concentration des immigrés dans certaines communes de banlieue, par le cancer du chômage…
Dans un contexte où le développement à l’emploi résoudrait une grande part des difficultés d’intégration et où le modèle consumériste est insensé et attise les frustrations, des questions majeures se posent : qu’est-ce qui doit être respecté au titre de l’adhésion aux principes de la République, condition impérative de vie en France ? Qu’est-ce qui relève de la liberté religieuse, garantie par la Constitution ? Qu’est-ce qui est légitime comme constitutif du droit à la diversité culturelle, dimension fondamentale de l’identité personnelle ?
L’égalité des droits entre les femmes et les hommes est un principe républicain qui interdit tout dispositif qui ferait que les femmes n’aient pas les mêmes droits que les hommes.
Les prescriptions alimentaires liées à certaines pratiques religieuses, se résoudraient d’elles-mêmes si les repas végétariens étaient reconnus, ce qui répondrait dans le même temps à des exigences éco-responsables.
L’apprentissage de l’arabe par les populations d’origine maghrébines doit pouvoir être proposé de manière sérieuse par l’école publique, ce trait d’entité devant être cultivé sans avoir pour cela, nécessairement, à fréquenter la mosquée. La formation de jeunes bilingues français-arabe étant, par ailleurs, un atout stratégique pour la France.
L’islam doit pouvoir être pratiqué dans des lieux corrects, non financés par des circuits propices aux influences occultes.
Le fondamentaliste ou prosélyte, s’il exprime une volonté extrémiste de forcer les autres à se conformer à un modèle de conduite stéréotypé et s’il manifeste l’intention d’en découdre avec la société démocratique, l’Etat de droit et la dignité humaine, il doit tombé sous le coup des principes d’ordre public et des lois en vigueur, prises au nom de la République.
La diversité culturelle et la République
La culture doit être reconnue comme constitutive de l’identité. Elle est cependant subordonnée à des valeurs, principes et responsabilité propres à la nation qui offrent un cadre au vivre-ensemble dans lequel les racines culturelles peuvent s’exprimer, par exemple celle des antillais, des guyanais, des comoriens, des corses mais aussi des populations françaises venues de l’immigration.
Ce principe de respect de la diversité culturelle n’empêche pas que les us et coutumes de la France soient assimilées et respectées. Autrement dit, reconnaître la diversité culturelle, ne pas laisser des populations se couper de leurs héritages, favoriser l’expression des racines culturelles n’est pas acceptation du clanisme, ni reconnaissance des ghettos, ni même tolérance du communautarisme. Reconnaître la diversité culturelle n’est pas synonyme de comportements, accoutrements et pratiques contraires aux usages du pays d’accueil.
Cela signifie que, en France, c’est à chacun de faire l’essentiel du chemin afin de s’adapter à la société française. Il est ainsi possible de passer de l’intransigeance de visions nationalistes à la conjonction des intelligences qui permet de vivre en paix ensemble dans la nation.
Des efforts d’éducation, de formation, d’intégration sont donc indispensables mais sans couper quiconque de ses héritages et racines culturels.