Les clichés tendant à mettre en cause la fonction publique territoriale permettent de faire valoir les vertus et les marges de souplesse du statut français ainsi que celles de la gestion publique.
Les mises en cause concernant le statut de la fonction publique se multiplient régulièrement. Ces attaques relèvent de quatre ordres :
Les métiers tenus par les fonctionnaires locaux sont utiles aux citoyens. Sauf à réduire le service rendu aux administrés, leur nombre est le gage d’un niveau de sécurité, de développement, de solidarité et de protection auquel les Français sont attachés et reconnu comme performant par les étrangers .
L’évolution du droit du travail français – signe d’une certaine idée du vivre-ensemble – tourne le dos à la dérégulation comme aux emplois précaires et tend à offrir aux salariés le bénéfice de conventions collectives adaptées aux particularités de leurs branches. Le cadre que le législateur a accordé pour chacune des trois fonctions publiques constitue, en quelque sorte, l’équivalent d’une convention collective agrémentée du fait que ses bénéficiaires tiennent une place et détiennent un rôle particulier (la fonction publique étant à la fois un magistère et un service) qui justifient un statut propre aux agents publics, avec des devoirs, des exigences, des obligations et des droits protecteurs liés à la nature même de leurs fonctions.
Émanant de la volonté du législateur, le statut général de la fonction publique traduit le « contrat » existant entre la Nation et ses agents. Il exprime les valeurs et les principes qui fondent l’action des administrations publiques. Il définit les garanties et les devoirs attachés aux fonctions et destinés à protéger les citoyens, l’autorité politique et bien sûr les fonctionnaires eux-mêmes. Il rappelle aussi que l’agent public intervient dans le cadre d’une hiérarchie administrative qui dépend du gouvernement ou des élus locaux.
Le droit administratif est un droit exorbitant du droit commun : l’intérêt général le justifie. Tout autant, l’intérêt général peut conduire à reconnaître des particularités à l’égard des agents chargés de mettre en œuvre l’action publique. C’est pourquoi les fonctionnaires sont placés dans une situation légale et réglementaire singulière, c’est-à-dire que le régime d’emploi et de rémunération déroge au droit commun et résulte, non du code du travail et des conventions collectives, mais de la loi et du pouvoir réglementaire. En ce cas, les particularités ne sont justifiées que dans la mesure où l’intérêt public le commande : par exemple, l’hygiène et la sécurité des travailleurs, tout comme les règles de représentation syndicale, ou bien l’action sociale n’imposent pas des particularismes.
La fonction publique de carrière n’est pas une exception française : c’est le cas, en partie plus ou moins grande, de la majorité des pays (12 Etats sur 28 ont un régime de carrière, 9 un régime combinant carrière et emploi, 7 un régime d’emploi) . La Commission européenne, quant à elle a fait le choix, en 1968, d’un système statutaire pour ses propres agents.
La spécificité française tient à l’homogénéité de son dispositif qui constitue un atout en termes de cohérence et de cohésion.
Certains estiment que « l’abandon du cadre statutaire, national et unitaire de la fonction publique serait davantage une fuite en avant qu’une réforme » . L’exemple de l’Italie, où une réforme de privatisation de la fonction publique a été conduite à partir de 1993 et où seuls 5% des emplois demeurent, en principe, régis par des rapports de droit public, ne peuvent convaincre du bien fondé d’une rupture. Les efforts attendus en termes d’efficacité, de simplicité et de performance n’ont pas encore été démontrés.
En effet, le statut de la fonction publique est le cadre dans lequel des obligations peuvent être imposées à des agents qui sont exorbitantes de celles du code du travail. Ce cadre est un gage de robustesse, bien plus qu’un problème : il donne une force particulière aux services publics locaux et, par ses souplesses, permet d’accompagner les évolutions. Il constitue un cadre stable tout en faisant preuve de plasticité.
La logique de carrière a sa cohérence et emporte des conséquences précieuses en termes de gestion des ressources humaines. Par exemple, le principe de la séparation du grade et de l’emploi, qui est constitutif de la fonction publique de carrière, permet de concilier deux exigences a priori contradictoires :
La critique quant à l’emploi à vie est inexacte. En effet, le statut général des fonctionnaires comporte des règles de fonctionnement qui diffèrent des caricatures :
La logique de la fonction publique de carrière implique un engagement durable d’agents, dans certains cas, pour plus de 40 ans, en tout cas pour une longue durée. Cette caractéristique, qui n’est pas une faiblesse en elle-même doit, en contrepartie, s’accompagner de capacités accrues d’adaptation, d’une véritable prospective de l’emploi public et de mobilités.
La mobilité est bénéfique dans son principe : elle ne doit cependant pas conduire à ignorer que les « métiers » de la fonction publique sont confiés, quel que soit leur régime d’emploi, à des professionnels recrutés et formés à cet effet et auxquels des parcours professionnels sont offerts aux fins de motivation et de fidélisation. Toutes les grandes entreprises s’y attachent. Les employeurs publics ont également une approche tendant à cultiver des savoir-faire.
La limitation du statut aux seuls « fonctionnaires d’autorité » et le bénéfice de contrats pour les « fonctionnaires de gestion » ferait basculer en dehors du statut plus de 4,5 millions d’agents, y compris les enseignants (sur un total de 5,6 millions). Cette évolution aurait plusieurs inconvénients majeurs :
Alors que les trois versants de la fonction publique sont actuellement constitués de corps nationaux ainsi que de cadres d’emplois et jouent un rôle important de brassage géographique et social, la création de plusieurs catégories de travailleurs au sein même des institutions publiques serait un facteur d’affaiblissement de l’unité des politiques publiques et porterait en germe une mise en danger de la cohésion nationale dès lors qu’elle serait pratiquée à une large échelle.
Le cadre lui-même a évolué au fil du temps. Constitué entre 1983 et 1986, il a fait preuve d’une réelle plasticité, les modifications ayant été nombreuses depuis lors. Plus que le nombre des modifications législatives intervenues en 30 ans, l’on soulignera l’effet positif des réformes ou novations introduites dans de nombreux domaines (formation continue à partir de 1989 ; aménagement et contrôle du travail à partir de 2000 ; régularisation des indemnités en 2002 ; réforme de la formation professionnelle des agents territoriaux en 2007 ; politique active de fusion de corps lancée en 2005 et accentuée en 2008 ; loi mobilité de 2009 ; loi sur la rénovation du dialogue social de 2010). Il s’est plié, toutes les fois que nécessaire, aux priorités politiques, accompagnant les réformes telle, par exemple, la décentralisation de 2004 (135 000 fonctionnaires de l’Etat ont été transférés vers les collectivités territoriales).
Les fonctionnaires bénéficient de la sécurité de l’emploi – avec toutes les exceptions en cas de faute ou de suppression de postes comme rappelé précédemment – ce qui constitue un avantage indéniable en temps de crise, mais ils n’ont pas été épargnés : les changements de fonction sont nombreuses et les réformes depuis le début de la décentralisation des années 1980 en ont imposées de multiples ; la valeur du point d’indice, c’est-à-dire des traitements, a été gelée depuis 2010 ; les effectifs ont été réduits puis stabilisés, les mesures catégorielles ont été limitées aux échelons les plus modestes.
Les problèmes de management qui peuvent être pointés du doigt pour dénigrer le secteur public – comme cela peut être fait à l’encontre de beaucoup d’entreprises, de commerces, d’artisans du secteur privé – tiennent-ils au statut ou bien plutôt aux compétences d’encadrement ? Autrement dit, n’est-ce pas les règles du jeu, les points de repères qui déterminent l’exercice des responsabilités ? Ce sont eux qui peuvent être facteur de blocages. Ce sont eux qui impliquent ou non les agents. Et non le statut en tant que tel. Il est possible, évidemment, et sans doute souhaitable, d’élargir les marges de manœuvre ou d’appréciation des responsables et gestionnaires, mais celles-ci ne doivent pas remettre en question le cadre statutaire avec ses devoirs et ses mécanismes protecteurs.
Ces démystifications concernant le statut de la fonction publique territoriale n’interdisent pas de nourrir quelques convictions simples mais fortes :
Concernant la supposée rigidité de gestion liée au statut de la fonction publique territoriale : chaque collectivité choisit librement et de manière transparente le mode de gestion de ses services publics, le plus adapté à ses besoins et ses moyens, le degré de risque qu’elle peut assumer, le mode de financement qu’elle estime être le plus adapté à la situation, sur la base de critères objectifs qui peuvent la conduire à choisir soit la gestion directe, soit la gestion déléguée ou bien le recours à l’achat de prestations, par le biais de marchés publics.
Précisons que la gestion déléguée consiste, pour une collectivité publique, à confier à un opérateur privé, public ou mixte, la gestion et le financement et parfois la réalisation d’un service public ou d’un ouvrage public. L’exploitation se fait aux risques et périls du délégataire. Ce mode de gestion est distinct de celui de privatisation.
D’ores et déjà, dans une mairie, en dehors de la direction générale, de l’état civil et de la police municipale, toutes les activités peuvent passer en gestion déléguée ou être exercées par des sociétés publiques locales (sociétés anonymes à capitaux publics).
Les entreprises délégataires ou les établissements publics locaux sont eux aussi soumis à des règles déontologiques ou à des obligations contractuelles liées au service public.
En France, la gestion déléguée, confiée par l’Etat et les collectivités à des opérateurs privés ou publics, génère chaque année 130 milliards € de chiffre d’affaires . Pour le secteur public local, il est majoritairement délégué la gestion des réseaux de chaleur (89 %), des transports urbains (78 %), des Palais des congrès et Zénith (62 %) ou encore la distribution de l’eau potable (56 %). À l’inverse, la gestion directe prédomine dans des secteurs tels que l’éclairage (76 %), la restauration collective (65 %), la collecte des déchets (59 %).
Déléguer la gestion d’un service public, ce n’est pas le privatiser. En ce cas, le service reste public, la collectivité reste responsable du service public. Quel que soit le mode de gestion, c’est bien la collectivité qui définit les missions, qui est propriétaire des ouvrages, qui fixe les objectifs, qui contrôle l’effectivité du service rendu, et qui établit le prix du service. Le délégataire, quant à lui, agit sous le contrôle direct de la collectivité, rend compte annuellement par le biais d’un rapport d’activité rendu public et est sanctionné en cas de non-respect de ses obligations contractuelles.
Notons que la commande publique représente près de 10 % du PIB en France (2 181 milliards € en 2015), les collectivités territoriales représentent environ 80 % du nombre des marchés passés .