Il importe de distinguer des notions souvent confondues qui définissent des concepts sensiblement différents : « communs », « biens communs » et « Bien commun ».
Les « communs » désignent les objets gérés collectivement, au-delà des simples démarches de consultation ou co-construction, favorisant une gouvernance communautaire.
Les « biens communs » dénomment les biens préservés de l’expansion indéfinie du capitalisme. Ils ne sont pas seulement des « biens » vitaux, fondamentaux pour la survie humaine, tels que l’air, l’eau ou les médicaments.
Le « Bien commun » désigne l’ensemble des finalités que recherche l’intérêt général dépassant les intérêts particuliers. Cette notion permet d’identifier les actions économiques, environnementales, sociales ou sociétales essentielles pour notre société.
« Communs » et « biens communs »
La notion de « Bien commun » avoisine celles des « communs » et des « biens communs », chacune définissant des concepts légèrement différents.
Historiquement, la question des « communs » traverse la pensée et les pratiques sociétales. Ainsi, Cicéron, auteur romain, préconisait la réquisition des biens d’individus jugés oisifs au profit des sages. Cette idée a également influencé le partage des communaux sous l’Ancien Régime, tels que les champs et les chemins d’usage collectif. La Commune de Paris, en 1871, a expérimenté une « mise en commun du pouvoir et de la propriété » : cet épisode est moins un modèle qu’un bref épisode, resté comme une promesse.
L’un des exemples les plus emblématiques des « communs« est le mouvement des « enclosures » en Angleterre, aux XVIe et XVIIe siècles. Cette réforme, permettant aux propriétaires fonciers d’agrandir leurs terres aux dépens des paysans, symbolise une rupture sociale profonde, souvent interprétée comme l’origine du capitalisme.
Cette appropriation des terres collectives soulève encore aujourd’hui des enjeux majeurs, notamment face aux tentatives de « seconde vague d’enclosure » par de grands groupes, sous l’effet de l’idéologie néolibérale. Le clivage traditionnel entre biens privés et publics facilite l’accaparement des biens par les premiers arrivés. La Cour suprême de l’Inde et la Constitution de l’Islande reconnaissent respectivement le crime d’enclosure et le caractère commun des ressources naturelles, tandis que le droit français évoque les notions de « biens communaux » et de « biens communs à tous » (articles 542 et 714 du Code civil).
Actuellement, les « communs« désignent les objets gérés collectivement, au-delà des simples démarches de consultation ou co-construction, favorisant une gouvernance communautaire. Cette gestion collective, mise en lumière par les travaux d’Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’économie en 2009, remet en question la distinction entre « biens publics » et « biens privés ».
Les « biens communs » ont une autre signification que celle des « communs ». Ils dénomment les biens qu’il convient de préserver de l’expansion indéfinie du capitalisme.
Ils ne sont pas seulement des « biens » vitaux, fondamentaux pour la survie humaine, tels que l’air, l’eau ou les médicaments. Ils sont aussi l’enjeu de transformation profonde de l’économie et de la société dans la mesure où ils questionnent le système des normes dans un contexte de menace désormais directe de l’humanité et de la nature.
Les « biens communs » se distinguent des « biens marchands » et s’apparentent aux biens collectifs matériels (éclairage public, sécurité, voirie, espaces publics, paysages, littoral, eau, air, biodiversité, etc.) et immatériels (éducation, langues, culture, droits sociaux, institutions, etc.).
En effet, certains biens méritent d’être protégés (contre la pollution ou le changement climatique, par exemple) ; d’autres biens méritent que leur accès soit garanti car ils sont essentiels pour un développement libre et harmonieux (la connaissance qui a besoin d’être diffusée et dont l’accès s’organise, l’accès aux soins, le patrimoine artistique, la sauvegarde de savoirs ancestraux) ; des biens qui sont stratégiques pour la bonne marche de la vie sociale (l’espace urbain, par exemple).
Chacun accède librement à ces « biens communs ». La quantité disponible n’est généralement pas réduite par le nombre d’utilisateurs même si, par exemple, une plage peut être plus ou moins encombrée et parfois friser la saturation. Dans cette notion peuvent aujourd’hui entrer notamment des choses inappropriables (idées, faits, méthodes, ressources non soumises aux droits de propriété intellectuelle, etc.), des produits (logiciels libres, outils de connaissance tel Wikipédia) ou des lieux (communs urbains, comme à Bologne).
Certains « biens communs« nécessitent de dépasser la souveraineté même des États. La lutte contre le réchauffement climatique illustre cette nécessité. Le critère de solidarité impose parfois de dépasser les horizons de proximité pour prendre en compte tous les vivants et les générations à venir.
La notion de « biens communs« s’impose aujourd’hui pour au moins trois motifs : le fossé se creuse entre les riches et les pauvres ; le système financier gagne du pouvoir et s’affranchit de l’économie réelle ; la planète est menée par un certain modèle dominant de croissance. Les biens communs sont donc inspirés d’une certaine idée de la société démocratique proche de l’éthique de la discussion de Jürgen Habermas (né en 1929) : égalitaire et non hiérarchique, délibérant plutôt qu’autoritaire, transparente plutôt que dissimulatrice.
Les « biens communs » concrétisent l’idée de « Bien commun ».
Le « Bien commun » comme finalité de l’intérêt général
La notion de « Bien commun » – avecun article défini, une majuscule et au singulier – désigne l’ensembledes finalités que recherche l’intérêt général dépassant les intérêts particuliers. Il convient donc de distinguer le Bien commun – objet de l’intérêt général – de l’intérêt général lui-même – critère de différenciation des intérêts publics et privés.
L’intérêt général apparaît dans la pensée politique contemporaine de deux manières différentes :
Il serait dangereux de laisser la définition des finalités aux seules lois du marché ou aux seules logiques bureaucratiques.
En effet, la notion d’intérêt (particulier ou général) est le plus souvent teintée d’une approche économiste, témoin d’une vision limitée aux horizons de l’économie de marché, selon laquelle les autorités politiques auraient pour rôle de veiller au bon fonctionnement du marché et au respect des règles du jeu par tous les acteurs et garantir l’intérêt général, notamment par la satisfaction des besoins essentiels des citoyens et la préservation des biens publics lorsque le marché n’y parvient pas.
Le mouvement libéral d’origine anglo-saxonne laisse entendre que chacun poursuit son propre bien et que l’État ne doit pas troubler le jeu harmonieux de la main invisible dans lequel tout le monde y gagnera. En ce cas, ce n’est pas l’État qui définit la « vie bonne », c’est l’économie. La publicité, le marketing jouent sur le désir des masses et les orientent vers des biens marchands sans cesse renouvelés grâce à l’innovation, la mode et l’obsolescence programmée. La consommation est la valeur libérale, le credo auquel l’humanité doit souscrire. Les pouvoirs publics, quant à eux, doivent se contenter, sur la base de recettes publiques, de financer les services – non rentables – que le marché ne peut « exploiter ».
En dépassant l’approche économiste, il est possible de reconnaître que l’être humain est un être social et appartient à des communautés tournées vers des finalités qui dépassent la seule dimension économique. Les notions de Bien commun, tout comme celle de droits humains, ouvrent à une vision humaniste que la République porte dans ses principes.
Cette notion n’est pas réductible à l’État qui représente plus ou moins parfaitement l’ensemble de la société. Comme souligné précédemment, cette idée politique, inspirée par Aristote, développée par la théologie scolastique de saint Thomas d’Aquin, est devenue le principe organisateur de la pensée sociale de l’Église. Aujourd’hui, ce concept de Bien commun est largement repris.
Dans les documents de l’ONU, cette notion se décline en « Bien commun de l’humanité » ou « intérêt général mondial » et vise à faire prendre conscience de la vulnérabilité de la biosphère et de l’épuisement des ressources.
L’intérêt porté au « Bien commun » est redoublé par l’urgence écologique mais aussi la révolution numérique qui fait naître de nouvelles inégalités. Il dénote la prise de conscience que nos modèles économiques actuels sont en contradiction avec l’idéal du bien commun. La recherche de nouveaux indicateurs tels que le « bonheur national brut », dès les années 1970, reflète cette conviction que les dimensions de l’existence et les conditions de la qualité de vie des personnes et des sociétés ne peuvent être évaluées à l’aune du seul PIB et de la primauté du profit.
Les actions économiques, environnementales, sociales ou sociétales essentielles qui contribuent à renforcer le Bien commun
Plusieurs actions économiques, environnementales, sociales ou sociétales contribuent à préserver ou renforcer le bien commun. Par exemple, celles qui contribuent aux objectifs suivants :
Penser le Bien commun, permet de discerner l’essentiel et, ainsi, d’imaginer les réformes du secteur public.
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