Divers facteurs alimentent un désenchantement démocratique en France. La montée de l’abstention, des votes protestataires, et le rejet des élites signalent une crise de la citoyenneté et de l’engagement. L’écart entre les citoyens et la politique s’accroît, fragilisant la démocratie. L’individualisme exacerbé et la remise en question de l’État aggravent ce désintérêt pour la politique, malgré une diversification des formes d’engagement. La société fait face à des risques de communautarisme, défiant l’objectif d’intégration de la République.
Les symptômes anciens d’un malaise profond
La France subit les symptômes sérieux d’un malaise profond qui s’exprime de manière récurrente depuis plusieurs décennies, perceptible au gré de crises successives et grandissantes.
Citons quelques-unes de ces manifestations qui « remontent à loin dans le temps » :
Il convient de considérer ces symptômes dans leur globalité, essayer de comprendre leur signification afin de saisir ce qu’ils expriment comme fissures dans le ciment de la cohésion de notre société et comme marques de déséquilibres de notre modèle de développement.
Des facteurs de crispation qui créent un désenchantement démocratique.
Depuis les années soixante-dix, on observe une abstention croissante, une montée des votes protestataires, des mouvements sociaux récurrents, un rejet des élites et un déclin de l’engagement politique et syndical. Autant d’indices d’une crise profonde du système représentatif, de la citoyenneté et de l’engagement en France.
Les enquêtes d’opinion de ces quarante dernières années révèlent un décalage grandissant entre les partis politiques et la réalité du corps social. Ce fossé croissant entre la classe politique et le peuple français conduit à une crise de la participation électorale. Le rapport des citoyens à la politique devient plus distant.
La démocratie est également fragilisée par la montée des votes protestataires. Depuis les élections présidentielles de 2002, leur part ne cesse de croître, soulignant l’inquiétante faiblesse des candidats de gouvernement et l’influence grandissante des opinions radicalisées.
Plusieurs facteurs expliquent la démobilisation des électeurs et la faible conscience de leurs responsabilités citoyennes : la dévalorisation de la notion de représentativité ; le désintérêt pour la politique ; l’affaiblissement des partis ; l’effacement partiel du clivage gauche-droite ; des pratiques technocratiques ; un sentiment d’impuissance de l’action politique face aux forces économiques, certaines de dimension internationale ; et la montée de l’individualisme.
L’image des responsables politique est globalement dégradée, souvent de manière fort injuste. Un décalage se fait sentir entre les discours politiques et les préoccupations quotidiennes des citoyens. Cela a entraîné un effondrement de la confiance : les partis politiques sont désormais les moins bien perçus parmi quatorze institutions, incluant les hôpitaux, l’armée, les syndicats et les médias.
La médiatisation de quelques « affaires » à partir de la seconde moitié des années 80, bien que limitées en nombre, a contribué à cette perception négative. Pourtant, ces vingt dernières années, la transparence et la déontologie ont gagné en importance chez la plupart des élus locaux. Tout ceci fragilise la démocratie.
Incertitudes quant au sens de l’intérêt général
Aujourd’hui, l’individualisme joue un rôle majeur dans le désintérêt pour la politique et la faible participation aux élections nationales et locales. En se développant, les logiques individuelles génèrent un désintérêt marqué pour les idéaux collectifs. Ceci est exacerbé par la remise en question de la légitimité de l’Etat et par l’affaiblissement de sa capacité à faire prévaloir l’intérêt général, notamment dans la sphère économique.
Nous savons tous que deux conceptions de l’intérêt général s’affrontent. L’une conçoit l’intérêt général comme le libre jeu des intérêts privés et réduit l’Etat à la protection des libertés. L’autre conception, d’essence volontariste, voit dans l’intérêt général le dépassement des intérêts particuliers. Le recul de la croyance dans l’intérêt général se poursuit à un moment où précisément les progrès de la démocratie s’accompagnent d’une valorisation des comportements individualistes qui induisent un repli sur les intérêts personnels et une désaffection profonde pour la défense des idéaux collectifs.
Le phénomène s’est trouvé aggravé par la mise en cause de la légitimité de l’Etat, ainsi que de sa capacité à faire prévaloir un véritable intérêt général. Aussi, l’Etat, conçu comme principe éminent, tout entier tendu vers l’unité de la volonté collective, garant de l’intérêt général face à la diversité des intérêts de la société civile, ne parvient-il plus à susciter l’adhésion des citoyens. Par ailleurs, la décentralisation a fait naître plusieurs niveaux de définition de l’intérêt général (régional, départemental, communal) se confondant moins nécessairement avec l’intérêt national et pouvant, de ce fait, devenir divergents.
Ces évolutions comportent des risques de communautarisme : les individus repliés sur leurs particularismes rencontrent d’importantes difficultés à s’intégrer dans la société. Ces risques se manifestent dans les domaines de l’éducation, du logement et de l’animation socioculturelle. Or, dans la tradition française, la société ne peut être formée de groupes juxtaposés. L’intégration reste un objectif politique majeur de notre République.
Signes d’espérance
Malgré la baisse de la participation des citoyens et la montée de l’abstention, on ne peut pas conclure à une désertion civique. De même, malgré le déclin des partis et des syndicats, l’engagement n’est pas mort. En effet, les motivations et les formes d’engagement sont devenues plus diversifiées et personnelles, se concentrant souvent sur des activités de proximité.