Crispation de la société et désenchantement démocratique

Divers facteurs alimentent un désenchantement démocratique en France. La montée de l’abstention, des votes protestataires, et le rejet des élites signalent une crise de la citoyenneté et de l’engagement. L’écart entre les citoyens et la politique s’accroît, fragilisant la démocratie. L’individualisme exacerbé et la remise en question de l’État aggravent ce désintérêt pour la politique, malgré une diversification des formes d’engagement. La société fait face à des risques de communautarisme, défiant l’objectif d’intégration de la République.

Les symptômes anciens d’un malaise profond

La France subit les symptômes sérieux d’un malaise profond qui s’exprime de manière récurrente depuis plusieurs décennies, perceptible au gré de crises successives et grandissantes.

Citons quelques-unes de ces manifestations qui « remontent à loin dans le temps » :

  • le « désenchantement démocratique », observé depuis les années soixante-dix ;
  • une série de motifs de crispations et d’essoufflements de la société liée principalement au chômage et à ses effets indirects ;
  • la crise des finances publiques depuis plus de quarante ans et la difficulté à définir une trajectoire politique qui concilie, de manière équilibrée, l’utilité de la dépense publique et les nécessaires priorités en matière d’interventions publiques.
  • la montée continue des inégalités territoriales, la déshérence persistante d’une jeunesse sans emplois, et le décrochage grandissant de nombre de quartiers de centres urbains ;
  • la désertification de zones rurales au cours des dernières décennies ;
  • la menace terroriste, depuis près de dix ans, et la confusion qu’elle dévoile entre les valeurs communes, les conditions de la cohésion nationale et le respect des opinions dans leur diversité.

Il convient de considérer ces symptômes dans leur globalité, essayer de comprendre leur signification afin de saisir ce qu’ils expriment comme fissures dans le ciment de la cohésion de notre société et comme marques de déséquilibres de notre modèle de développement.

Des facteurs de crispation qui créent un désenchantement démocratique.

Depuis les années soixante-dix, on observe une abstention croissante, une montée des votes protestataires, des mouvements sociaux récurrents, un rejet des élites et un déclin de lengagement politique et syndical. Autant dindices dune crise profonde du système représentatif, de la citoyenneté et de lengagement en France.

Les enquêtes dopinion de ces quarante dernières années révèlent un décalage grandissant entre les partis politiques et la réalité du corps social. Ce fossé croissant entre la classe politique et le peuple français conduit à une crise de la participation électorale. Le rapport des citoyens à la politique devient plus distant.

La démocratie est également fragilisée par la montée des votes protestataires. Depuis les élections présidentielles de 2002, leur part ne cesse de croître, soulignant linquiétante faiblesse des candidats de gouvernement et l’influence grandissante des opinions radicalisées.

Plusieurs facteurs expliquent la démobilisation des électeurs et la faible conscience de leurs responsabilités citoyennes : la dévalorisation de la notion de représentativité ; le désintérêt pour la politique ; l’affaiblissement des partis ; leffacement partiel du clivage gauche-droite ; des pratiques technocratiques ; un sentiment dimpuissance de laction politique face aux forces économiques, certaines de dimension internationale ; et la montée de lindividualisme.

Limage des responsables politique est globalement dégradée, souvent de manière fort injuste. Un décalage se fait sentir entre les discours politiques et les préoccupations quotidiennes des citoyens. Cela a entraîné un effondrement de la confiance : les partis politiques sont désormais les moins bien perçus parmi quatorze institutions, incluant les hôpitaux, larmée, les syndicats et les médias.

La médiatisation de quelques « affaires » à partir de la seconde moitié des années 80, bien que limitées en nombre, a contribué à cette perception négative. Pourtant, ces vingt dernières années, la transparence et la déontologie ont gagné en importance chez la plupart des élus locaux. Tout ceci fragilise la démocratie. 

Incertitudes quant au sens de l’intérêt général

Aujourd’hui, lindividualisme joue un rôle majeur dans le désintérêt pour la politique et la faible participation aux élections nationales et locales. En se développant, les logiques individuelles génèrent un désintérêt marqué pour les idéaux collectifs. Ceci est exacerbé par la remise en question de la légitimité de lEtat et par laffaiblissement de sa capacité à faire prévaloir lintérêt général, notamment dans la sphère économique.

Nous savons tous que deux conceptions de lintérêt général saffrontent. Lune conçoit lintérêt général comme le libre jeu des intérêts privés et réduit lEtat à la protection des libertés. Lautre conception, dessence volontariste, voit dans lintérêt général le dépassement des intérêts particuliers. Le recul de la croyance dans lintérêt général se poursuit à un moment où précisément les progrès de la démocratie saccompagnent dune valorisation des comportements individualistes qui induisent un repli sur les intérêts personnels et une désaffection profonde pour la défense des idéaux collectifs.

Le phénomène sest trouvé aggravé par la mise en cause de la légitimité de lEtat, ainsi que de sa capacité à faire prévaloir un véritable intérêt général. Aussi, lEtat, conçu comme principe éminent, tout entier tendu vers lunité de la volonté collective, garant de lintérêt général face à la diversité des intérêts de la société civile, ne parvient-il plus à susciter ladhésion des citoyens. Par ailleurs, la décentralisation a fait naître plusieurs niveaux de définition de lintérêt général (régional, départemental, communal) se confondant moins nécessairement avec lintérêt national et pouvant, de ce fait, devenir divergents.

Ces évolutions comportent des risques de communautarisme : les individus repliés sur  leurs particularismes rencontrent dimportantes difficultés à sintégrer dans la société. Ces risques se manifestent dans les domaines de l’éducation, du logement et de l’animation socioculturelle. Or, dans la tradition française, la société ne peut être formée de groupes juxtaposés. Lintégration reste un objectif politique majeur de notre République.

Signes d’espérance

Malgré la baisse de la participation des citoyens et la montée de labstention, on ne peut pas conclure à une désertion civique. De même, malgré le déclin des partis et des syndicats, lengagement n’est pas mort. En effet, les motivations et les formes  d’engagement sont devenues plus diversifiées et personnelles, se concentrant  souvent sur des activités de proximité.