Marges d'évolution institutionnelle "verticale" de l’organisation décentralisée

L’organisation décentralisée est un des leviers pour atteindre l’équilibre des finances publiques.

Il se trouve que, en matière d’organisation territorialisée, l’un des moyens de simplification du paysage des collectivités passerait par la reprise de la réforme inappliquée de 2010 de mise en place de conseillers territoriaux communs aux conseils départementaux et aux conseils régionaux.

Une évolution en ce sens permettrait au législateur de faire naître des blocs régionaux, chacun d’entre eux étant composé d’une région et de ses départements. Une réforme législative en ce sens devrait être accompagnée d’un schéma de mutualisation, par blocs, des services régionaux et services départementaux, ce qui serait une source potentielle d’économies. Le redécoupage des régions, intervenu en 2016, a toutefois rendu une telle réforme plus compliquée.

En parallèle, la mutualisation entre communes et intercommunalités, au sein du bloc communal, comporte certainement des marges de progrès.

L’organisation décentralisée est un des leviers pour atteindre l’équilibre des finances publiques

La France n’a pas un régime fédéral. Elle est une République « indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».

Cette organisation décentralisée ne peut être améliorée que dans le cadre d’une vision politique d’ensemble de l’avenir des institutions publiques englobant le champ de l’Etat, celui des collectivités territoriales et celui de la sécurité sociale.

Seule une approche large de ce type peut permettre de fixer des priorités susceptibles de dégager des marges de manœuvre de nature à rétablir l’équilibre des finances publiques.

Les tentatives de simplification « verticale » du paysage des collectivités

Au lieu de l’extension des frontières des régions par fusion, certains imaginent des regroupements entre niveaux de collectivités. À une logique « horizontale », ils privilégient une approche « verticale » qui viserait à réduire le nombre de couches du mille-feuille.

Nous citerons quelques unes des évolutions institutionnelles de cet ordre que la Constitution autorise dans certaines conditions particulières :

  • les quatre niveaux territoriaux (communes, intercommunalités, départements et régions) peuvent évoluer vers trois étages (communes, intercommunalités, régions) par création d’une collectivité unique de statut particulier prenant la place de la région et de ses départements. L’article 72 de la Constitution prévoit la possibilité de création par le législateur de collectivités à statuts particuliers (la réforme institutionnelle mise en œuvre en Corse, en 2018, était de cet ordre). Par ailleurs, l’article 73, alinéa 7, de la Constitution ouvre, dans les collectivités ultramarines, la possibilité d’opter pour le statut de collectivité unique se substituant au département et à la région (c’est le choix fait, en 2016, pour la Martinique et la Guyane) ;
  • les conseils départementaux peuvent devenir des fédérations d’intercommunalités sur le modèle qui a inspiré la création, en 2014, de la métropole de Lyon ;
  • la fusion entre une région et ses départements est envisagée par certains avec l’idée de création d’une assemblée unique . La nouvelle carte régionale qui a résulté de la loi du 16 janvier 2015 (création de sept régions nouvelles par regoupement de seize régions) a sérieusement compliqué cette hypothèse de collectivité unique par fusion des régions avec leurs départements.
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Une loi en date du 16 décembre 2010 amorçait un mouvement dans le sens non de la collectivité unique entre une région et des départements mais de conseillers territoriaux uniques (sur une base cantonale). A travers cette piste de conseillers uniques, adoptée par le Parlement, le Gouvernement de l’époque visait à améliorer et à simplifier la gouvernance territoriale tout en favorisant la mutualisation des services et la complémentarité entre les deux échelons territoriaux. Cette mesure n’a pas vu le jour car la majorité nationale sortie des urnes en 2012 a supprimé la disposition législative qui l’avait instaurée en invoquant le risque de fragmentation des politiques régionales du fait de la base cantonale des conseillers territoriaux.

L’hypothèse d’évolution du paysage territorial vers un ensemble de blocs régionaux en complément de blocs communaux

L’expression de « bloc communal » – retenue par le Rapport Balladur (2007) – désigne le fait que les communes et leurs intercommunalités ont des liens indissolubles qui permettent une répartition des rôles et un partage de la légitimité politique. Ce modèle paraît stabilisé. Entre chaque intercommunalité et ses communes-membres, des services communs et des mises à disposition de services sont mis en place qui, depuis 2015, sont retracés dans des schémas de mutualisation.

Si l’idée de conseillers territoriaux de 2010 était reprise, l’élection simultanée de conseillers des conseils régionaux et de conseillers départementaux pourrait avoir lieu sur un modèle à déterminer  inspiré par le mode d’élection des conseillers municipaux et communautaires dans les communes de 1 000 habitants et plus (article L 273-6 du code électoral). Ces conseillers territoriaux seraient appelés à siéger (pour certains dentre eux) dans les deux assemblées

Cette réforme devrait alors être accompagnée d’une obligation pour les assemblées de la région et les départements qui la composent d’adopter des schémas de mutualisation de leurs services. Cette modalité serait essentielle pour induire des économies d’échelle dans le bloc régional.

Ces dispositions seraient de nature à pleinement utiliser l’échelon départemental, « la bonne maille », selon l’expression utilisée, le 12 mars 2024, par le Président de la République :

« (…) la bonne maille est départementale. Parce que la déconcentration régionale dans les grandes régions n’est pas perçue comme une déconcentration par nos compatriotes.  (…) La décision est perçue comme lointaine. Nos procédures sont lentes, parce que tous les systèmes sont thrombosé. Et donc, je veux véritablement qu’on aille au bout de cette déconcentration territoriale et qu’on donne beaucoup plus de force à nos départements. Je le dis parce qu’ils ont été anémiés et vous le savez très bien. (…)  Et dans le même temps, quelques années plus tard, on a fait ces grandes régions qui ont éloigné les centres de décision du département. Ce double mouvement est terrible pour la capacité à avoir une action publique qui est tangible pour nos compatriotes. Nos compatriotes, pouvant être des citoyens de bonne foi, mais surtout, ceux qui sont nos relais, c’est-à-dire les maires, c’est-à-dire les entrepreneurs, les décideurs locaux et vous le savez comme moi. Et donc, je veux qu’on redonne de la force, à la fois de la cohérence d’action et de la force à nos départements ».

Le redécoupage des régions, intervenu en 2016, a rendu une telle réforme plus compliquée dans sa mise en œuvre.

Les marges d’autonomie offertes dans l’organisation des compétences du bloc régional

Dans l’hypothèse de création de blocs régionaux, une marge d’autonomie pourrait être donnée aux collectivités (la région et ses départements) pour leur permettre de se répartir l’exercice des compétences et mutualiser leurs services selon les choix des assemblées régionale et départementales.

En effet, il est concevable de regrouper de nombreux savoir-faire entre services départementaux d’une même région et entre les services régionaux et ceux départementaux. Des mutualisations verticales (entre la région et les départements) et horizontales (entre tous les départements de la région) pourraient être opérées.

Le tableau ci-dessous distingue les trois types de mutualisation pouvant résulter de ce scénario de bloc régional :

Compétences régionales sans grandes marges de mutualisation entre les départements et la région

Compétences régionales et départementales avec de fortes marges de mutualisation entre les départements et la région

Compétences départementales sans grandes marges de mutualisation avec la région mais avec de grande marges de mutualisation entre les départements

Aménagement du territoire

Fonctions ressources : gestion financière et comptable, gestion des ressources humaines, contrôle de gestion et audits internes, commande publique, systèmes d’information, affaires juridiques, administration générale, services techniques, gestion immobilière et foncière, communication

Equipement rural, remembrement, aménagement foncier, soutien à la gestion de l’eau, l’assainissement et les déchets, soutien aux projets communaux et intercommunaux

Formation professionnelle

Enseignement

Construction, entretien et équipement des lycées et des collèges

Gestion des agents techniciens, ouvriers et de service (TOS) des lycées et des collèges

Aménagement et entretien du réseau routier

Mise en œuvre d’un plan régional pour la qualité de l’air et classement des réserves naturelles régionales

Protection du patrimoine, culture (hors archives et bibliothèques départementales de prêt) et sport

Création et gestion des bibliothèques départementales de prêt et des services d’archives départementales

Aérodromes

Mobilité (transports, voiries)

Enfance (PMI, adoption, soutien aux familles en difficulté financière, surveillance et contrôle des établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans, aide sociale à l’enfance, jeunes en difficulté)

Energie

Interventions économiques

Développement des ports, voiries d’eau et liaisons maritimes

Actions sociale en faveur des personnes handicapées : politiques d’hébergement et d’insertion sociale, prestation de compensation du handicap

Réseaux et services locaux de communication électronique

 

Action sociale en faveur des personnes âgées : création et gestion de maisons de retraite, politique de maintien des personnes âgées à domicile (allocation personnalisée d’autonomie)

  

Actions sociales et médico-sociales / Insertion sociale et revenu de solidarité active

Les marges d’économies potentielles du fait de mutualisations par bloc communaux et régionaux

La création d’un bloc régional incluant les départements – mis en place à la faveur de l’instauration de conseillers territoriaux – serait-elle de nature à ce que les niveaux régionaux et départementaux fassent des économies d’échelles par des mutualisations ? En parallèle, un objectif de mutualisation plus ambitieuse entre collectivités du bloc communal est-il envisageable ?

Un objectif de mutualisation plus forte de services par blocs de collectivités permettrait-elle à ce que les administrations publiques locales (19,2% du total des dépenses publiques, soit 295,3 milliards environ en 2022 et 11,2 % du PIB) contribuent davantage à l’équilibre des finances publiques ?

À la lumière de l’expérience, il est permis de penser que – dans un objectif légitime de maîtrise des dépenses publiques et à niveaux de compétences constants – l’émergence de blocs régionaux et un renforcement des mutualisations au sein du bloc communal pourraient générer, à court terme, des économies dans les budgets de collectivités d’un même bloc, à qualité de service public égale, par un double effet :

        • une rationalisation plus grande des achats publics de même nature ;
        • des économies d’échelles du fait de services communs mutualisés (ou mis à disposition) pour des fonctions opérationnelles ou des fonctions dites « ressources » ou « supports ».

Cela pourrait-il permettre des gains dans les dépenses de fonctionnement des collectivités ? Ceci mérite d’être estimé, en sachant qu’une baisse de 1% des dépenses de fonctionnement du fait de mutualisations réussies représente environ 1 milliard € d’économies par an pour le bloc communal et 0,9 milliard € d’économies par an pour le bloc régional.

Précisons que, dans le total des dépenses de fonctionnement des collectivités, la masse salariale représente une part d’inégale importance par catégorie de collectivités, cette part étant relativement faible pour les régions et les départements :

Nature de collectivités

Montants des dépenses de personnel (en milliards €) (1)

Montants du total des dépenses de fonctionnement  (en milliards €) (2)

(1) / (2)

(en %)

Communes

41,3

52,5

75,7

104,8

54,5%

50,1%

Intercommunalités

11,2

29,1

38,5%

Départements

16,5

20,9

70,7

93,9

23,3%

22,2%

Régions et collectivités uniques

4,4

23,2

18,9%

Dépenses totales

73,4

198,7

 

Une mutualisation plus grande entre collectivités d’un même « bloc » peut offrir, au fil du temps, des marges de non-remplacement de départs à la retraite et ainsi contribuer, à moyen terme, à la réalisation d’économies. En ce cas, la politique de non-remplacement de tous les départs à la retraite et de toutes les mobilités peut progressivement permettre d’ajuster les effectifs à des besoins réduits en personnel du fait des mutualisations (le taux de départs annuels représente 9% des effectifs des collectivités territoriales ).

En conclusion, nous soulignerons que les pistes de réforme « verticale » de nature à simplifier l’organisation territoriale méritent d’être débattues et approfondies car, outre leurs vertus propres, elles peuvent enclencher des dynamiques de mutualisation bénéfiques pour les finances publiques.