Quelles valeurs de la République ?

Les valeurs républicaines englobent essentiellement la souveraineté nationale, le respect de l’État de droit, ainsi que les principes de liberté, égalité, fraternité, laïcité, dignité humaine, justice, sécurité publique et intérêt général.

Inspirées par l’antiquité, le mouvement des Lumières, et l’humanisme, ce valeurs forment le cœur de la République française. Guidée par la volonté populaire selon les termes de la Constitution française de 1958, la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

Son contrat social équilibre les droits individuels et les valeurs nationales. Il est le fondement de la confiance des citoyens dans les institutions et l’expression des choix politiques pour le Bien commun et la cohésion nationale

Les valeurs républicaines ont un prix immense si on comprend ce quest la République, si on comprend que la République est une exigence, si on comprend que la citoyenneté elle-même ne va pas sans efforts.

La bonne compréhension de ces valeurs a une importance capitale à l’heure où l’extrême-droite réduit la République a l’ordre et l’autorité, confond l’Etat social et l’Etat national, réduit la laïcité a un contenu “civilisationnel ».

C’est ce chemin de compréhension de la République qu’il convient d’emprunter pour savoir en discerner ses principales valeurs et leur cohérence d’ensemble : souveraineté nationale ; respect de l’État de droit, principes de liberté, égalité, fraternité, laïcité, dignité humaine, justice, sécurité publique et intérêt général.

La souveraineté nationale

Ernest Renan dans sa célèbre conférence de 1882 définit la nation comme un principe spirituel unissant passé et présent : un héritage commun et la volonté de  vivre ensemble.

Cette vision, formulée après la perte de l’Alsace-Lorraine, contraste avec les idées pangermanistes de Fichte, fondées sur la « race ». Pour Renan, la nation est un choix quotidien, reposant sur une adhésion à des valeurs partagées comme la souveraineté, l’État de droit, la liberté, l’égalité, la fraternité, et la laïcité. Le modèle républicain français s’articule autour de cette volonté d’appartenance, affirmant l’importance de l’adhésion à ces principes pour définir la nation.

La notion de souveraineté touche à l’essence du politique. Elle en partage les ambiguïtés. Elle se définit, en droit, comme la détention de l’autorité suprême, c’est-à-dire d’un pouvoir absolu (un pouvoir dont tous les citoyens dépendent) et inconditionné (un pouvoir qui ne dépend de qui que ce soit).

Dans les régimes despotiques, la souveraineté est le plus souvent détenue par un seul homme.

Dans les démocraties, elle est détenue par le peuple, constitué en un corps politique, la Nation : on parle dès lors de souveraineté nationale.

Selon l’approche qui est celle de l’État de droit, la souveraineté est le pouvoir politique  exercé de façon légitime.

Il existe des théories qui distinguent la souveraineté populaire de la souveraineté nationale.

Les Lumières ont introduit la souveraineté populaire, fondée sur la volonté générale à la Rousseau, exigeant un exercice direct du pouvoir par le peuple. À l’opposé, l’abbé Siéyès, en 1789, a établi la souveraineté nationale comme émanant de la Nation, concept abstrait mais indivisible.

La Constitution française de 1958 intègre ces deux visions, attribuant la souveraineté au peuple qui l’exerce par la représentation et le référendum, rejetant tout mandat impératif et mélangeant représentativité et démocratie directe.

L’Union européenne est une communauté de nations souveraines qui ont choisi de mener ensemble des politiques communes.

Le respect de l’État de droit comme principe de gouvernance

Hans Kelsen a défini l’État de droit comme un système où les normes juridiques sont hiérarchisées pour limiter le pouvoir de l’État. Aujourd’hui, l’État de droit est valorisé par des institutions internationales comme les Nations Unies et l’OCDE, considéré comme essentiel à la gouvernance démocratique. Il repose sur le respect de lois équitables, la primauté du droit, l’égalité légale, et la transparence. Le Conseil de l’Europe identifie cinq piliers de l’État de droit: légalité, sécurité juridique, prévention de l’abus de pouvoir, égalité devant la loi, et accès à la justice. Malgré sa valeur institutionnelle pour la démocratie, l’État fait face à une crise de légitimité, remettant en question son rôle moral et intellectuel. Cette crise, exacerbée entre 1968 et 1973 en France, a transformé l’État en bouc émissaire pour ses inefficacités perçues. Néanmoins, l’État de droit républicain reste un idéal à préserver et à enrichir.Le contrat social comme ciment de la nation

Du contractualisme, né de Hobbes, Locke et Rousseau au « nouveau contrat social » prôné aujourd’hui , le terme de contrat social a évolué de façon spectaculaire en un peu plus de deux siècles. Ce qui apparaissait comme une théorie philosophique du vivre-ensemble sous l’autorité d’un État souverain, s’est mué, au gré des évolutions sociologiques et sémantiques, en un accord social, souvent déconnecté de l’autorité politique.

L’objet premier d’un contrat social est de garantir la liberté, la sécurité et la paix d’un peuple. Ceci, par le transfert volontaire d’une partie de la liberté individuelle de chaque membre de la société à un État, en vue du Bien commun et du vivre-ensemble.

Aujourd’hui, le ciment de la nation est lézardé par les crises, par leurs effets amplifiés sur certains territoires, par leurs conséquences concentrées sur nombre de catégories sociales qui sont devenues autant de fractures de plus en plus profondes. Le ciment de la nation est donc fissuré par une sévère fragilité du contrat social. Celle-ci perturbe la citoyenneté.

Car en théorie, tout semble simple : la légitimité du pouvoir démocratique découle de la volonté librement exprimée par le peuple. Mais l’abstention, le désintérêt pour la vie politique mettent à mal cette conception. L’urgence est de « repolitiser » notre République, retrouver le sens vivifiant de la nation, de la souveraineté, de la citoyenneté, du lien entre les représentants du peuple.

La valeur de liberté

La Déclaration de 1789 en France définit la liberté comme la capacité d’agir sans nuire à autrui, avec la loi comme seule limite. Montesquieu et Rousseau soulignent que la liberté repose sur le respect des lois, distinguant l’indépendance de la vraie liberté, qui implique de ne pas imposer sa volonté aux autres. L’existence des lois garantit les libertés individuelles, empêchant la domination et la soumission arbitraire. Cette conception des libertés, encadrées et protégées par la loi, sert de fondement aux droits de l’Homme, interdisant l’esclavage, le travail forcé, et valorisant la liberté d’expression. La responsabilité individuelle et la fraternité en découlent, comme l’affirme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, soulignant l’égalité intrinsèque et la dignité de tous les êtres humains.

La valeur d’égalité

Alexis de Tocqueville soulignait la passion des peuples démocratiques pour l’égalité, vue comme insatiable et invincible. La France considère l’égalité comme une valeur clé, ancrée dans le préambule de sa Constitution de 1958 et la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Cette égalité, associée à la liberté et la fraternité, établit les fondements de la démocratie et l’unité nationale. Elle englobe l’égalité civile sous une loi unique, l’égalité des chances, et la justice distributive, visant à neutraliser les inégalités naturelles selon le principe « Chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » de Karl Marx. La lutte contre la discrimination, soutenue par des actions publiques, exprime cet engagement vers l’égalité, qui inclut aussi l’égalité réelle, allant au-delà des droits pour réduire les inégalités de vie via l’État providence. Ce concept permet des traitements différenciés pour l’intérêt général sans constituer de la discrimination, reconnaissant ainsi la complexité de réaliser une égalité totale dans la société.

La valeur de laïcité

La laïcité est inscrite à l’article 1er de la Constitution française qui affirme la République laïque.

Cette valeur correspond à :

  • la liberté pour les citoyens de croire, de ne pas croire ou de changer de religion et de pratiquer leur culte dans la limite de l’ordre public ;
  • la séparation de l’État et de l’Église qui permet la neutralité de l’État et des services publics ;
  • l’égalité de traitement et d’accès aux services publics pour l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses.

Au titre de la neutralité de l’État et pour garantir le traitement égalitaire entre les citoyens, les agents publics ne doivent pas manifester leur appartenance religieuse dans l’exercice de leurs fonctions afin de ne marquer aucune préférence à l’égard de telle ou telle conviction, ni donner l’apparence d’un tel comportement préférentiel ou discriminatoire.

Au titre de la liberté de conscience, les citoyens et usagers du service public peuvent, quant à eux, exprimer leur conviction et porter des signes religieux.

La loi de 2004 interdit le port de signes ostentatoires par les élèves dans les établissements scolaires et la loi de 2010 interdit le port du voile intégral dans l’espace public. Ces dispositions pourraient laisser penser à une remise en cause de la valeur de liberté d’expression des convictions ou d’exercice du culte dans l’espace public, alors même qu’elles répondent à d’autres logiques de lutte contre les discriminations ou d’ordre public.

Certains acteurs peuvent vouloir restreindre le droit d’expression religieuse dans l’espace public et réduire le champ des convictions spirituelles aux seuls espaces privés. Cette vision restrictive de la laïcité tend à restreindre le champ de la liberté d’expression dans le respect de l’ordre public.

La valeur de laïcité fait l’objet de débats quant à sa traduction pratique. Un courant de pensée veut passer d’une laïcité de l’État à une laïcisation de la société animée par la volonté d’exclure l’expression des religions en dehors de la société et de la reléguer dans un strict espace privé de plus en plus réduit. Ceci serait contraire à la loi du 1905 qui garantit l’exercice des libertés.

Certains prétendent que privatiser l’expression religieuse favoriserait la paix sociale. Ce point de vue est une illusion et une erreur. Bien au contraire, il favoriserait l’émergence de courants et d’attitudes fondamentalistes qui pourraient s’appuyer sur le sentiment d’être méprisés, rejetés, ignorés ou inciteraient à se replier sur des formes de vie communautaristes.

La valeur de dignité humaine

L’ordre juridique français n’avait pas construit de véritable notion juridique concernant la dignité humaine jusqu’à l’examen, en 1994, des lois relatives à la bioéthique par le Conseil constitutionnel qui a alors mentionné la dignité de la personne humaine comme une part d’humanité qui lie l’ensemble des êtres humains.

C’est en 1995 que le Conseil d’État a érigé le respect de la dignité de la personne humaine en composante de l’ordre public, en interdisant une attraction de « lancer de nain ». Par la suite, le juge administratif a condamné d’autres stigmatisations de groupes d’individus en raison de caractéristiques propres, rapprochant alors la notion de dignité du principe de non-discrimination : exclusion de personnes de confession musulmane, propos antisémites. Toutefois, tous les actes de discriminations ne caractérisent pas une atteinte à la dignité de la personne humaine.

Les évolutions jurisprudentielles françaises permettent aujourd’hui de distinguer la notion de dignité-ordre de celle de dignité-droit. La première évoque la dignité attachée à l’ordre public qui constitue une limite à la liberté individuelle. La seconde concerne la dignité attachée à la personne humaine qui peut être opposée par chaque individu à des tiers.

La dignité humaine reste une notion équivoque et rarement définie explicitement dans les textes fondamentaux qui s’y réfèrent. Elle est cependant une valeur de plus en plus affirmée au niveau international.

L’UNESCO emploie la définition suivante :

« La dignité renvoie à la dignité minimale de tout être humain. Elle marque un seuil, un niveau de respect et d’attention au-dessous duquel aucun être humain ne devrait être rabaissé.

Contrairement au mérite, qui incarne des accomplissements personnels reconnus par tous, c’est son humanité même qui fait la dignité de l’être.

La dignité humaine apparaît donc comme assumant un rôle distinct, en tant que source des droits de l’homme, et raison de leur promotion.

Les droits sont la condition nécessaire et attendue pour que soit garantie et respectée la dignité de la personne humaine ».

Les Nations Unies relient la valeur de dignité humaine à ses objectifs pour « un monde juste, pacifique et sûr, gouverné par l’État de droit » :

« Le cadre international relatif aux droits de l’homme, ainsi que le droit international humanitaire, le droit pénal international et le droit international des réfugiés constituent les fondements de l’exercice du droit de vivre dans la dignité. Les éléments de notre cadre normatif sont des corpus de droit complémentaires qui partagent le même objectif : protéger la vie, la santé et la dignité de la personne. L’État de droit permet de promouvoir et de protéger ce cadre normatif commun. Grâce à cette structure, l’exercice du pouvoir fait l’objet de règles convenues, ce qui garantit la protection de tous les droits de la personne ».

Les valeurs de justice et de sécurité publique

La justice, intrinsèquement liée à la liberté et à l’égalité, est définie par la Déclaration de 1789 comme essentielle à la protection des droits individuels et à l’application des lois. Sans sécurité publique, il ne peut y avoir de justice véritable. La sécurité, allant au-delà d’un besoin psychologique fondamental, est considérée comme un devoir de l’État plutôt qu’un droit fondamental. La loi du 18 mars 2003 la reconnaît comme condition essentielle à l’exercice des libertés. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 élargit cette notion à la sécurité sociale, affirmant le droit à la sécurité économique, sociale et culturelle comme essentiel à la dignité humaine. Ainsi, la sécurité englobe une vaste gamme de domaines, de la sécurité juridique à la sécurité globale, illustrant son importance dans tous les aspects de la vie sociale.

La valeur d’intérêt général

La notion d’intérêt général, essentielle au XVIIIe siècle, se divise en approches utilitariste et volontariste. L’utilitarisme voit l’intérêt général comme la somme des intérêts individuels, tandis que l’approche volontariste, ancrée dans la tradition républicaine française, le considère comme le dépassement des intérêts personnels pour le Bien commun. La loi, reflet de la volonté générale, joue un rôle clé dans cette vision, bien que l’intérêt général reste non explicitement défini, évoluant avec la société et les enjeux contemporains. Malgré son importance dans le droit français et son influence sur la jurisprudence, la conception française de l’intérêt général fait face à des défis, notamment à cause de perspectives économiques renouvelées et de l’approche de l’Union européenne sur les services d’intérêt général. Toutefois, sa flexibilité permet d’embrasser les défis actuels, y compris ceux concernant les générations futures.