Services publics de proximité de l’Etat

L’Etat a besoin non de réduire sa portée mais d’améliorer son rôle et notamment son articulation avec les pouvoirs locaux, en tirant les leçons des décennies de décentralisation.

Depuis la décentralisation, l’Etat cherche à adapter son organisation déconcentrée en fonction de l’organisation des pouvoirs locaux. Les réformes menées modèlent une architecture et des modalités de relation avec les collectivités territoriales. Après avoir rappelé les vagues de réforme de l’Etat dans son organisation déconcentrée, nous évoquerons le nouvel équilibre territorial recherché.

L’échelon déconcentré de l’Etat a une importance pour l’exercice de ses nombreuses missions mais aussi pour, à l’échelle des territoires, écouter et répondre aux fortes attentes des citoyens et des élus locaux à l’égard de l’État.

La déconcentration comme condition d’équilibre de la décentralisation

Le modèle français d’organisation de l’Etat français est fortement déconcentré. Des pouvoirs de décision sont accordés à des agents de l’Etat, sous l’autorité du Gouvernement, au niveau de la région et du département. Cette modalité constitue un élément essentiel : elle équilibre la décentralisation en permettant de contrôler les pouvoirs locaux et en couplant les interventions territoriales respectives de l’Etat et des collectivités.

Inscrit dans la Constitution à l’article 72, le préfet, représentant de l’État, est « dépositaire de l’autorité de l’État » dans le département ou la région où il est nommé selon les termes de l’article 1er du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements. Il a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois. Il représente le Premier ministre et chacun des ministres. Il veille à l’exécution des règlements et des décisions gouvernementales. Il dirige, sous l’autorité des ministres, les services déconcentrés des administrations civiles de l’État, sauf exceptions prévues par ce même décret. À ses missions, nombreuses, s’ajoutent les fortes attentes des citoyens et des élus locaux à l’égard de l’État qu’il incarne dans le territoire.

La déconcentration de moyens et de pouvoirs de décisions de l’Etat, inscrite dans le paysage administratif français depuis le tournant du XVIIIème siècle, a été relancée avec les décrets du 14 mars 1964 qui ont assis l’autorité du préfet au niveau départemental et créé les préfets de région.

La vague de profonde décentralisation amorcée en 1982 a conduit l’Etat à réformer son organisation au niveau territorial : deux décrets de 1982 ont accordé aux préfets un rôle de direction des services de l’Etat et non plus seulement d’animation. Cette volonté d’équilibre entre décentralisation et déconcentration représente depuis cette époque un trait caractéristique du modèle français d’administration territoriale.

Le décret du 1er juillet 1992 portant « charte de la déconcentration » a affirmé la compétence de droit commun des services déconcentrés de l’Etat : ils constituent l’administration chargée, dans un département ou une région, de mettre en œuvre les politiques publiques décidées au niveau national, d’appliquer ou de faire appliquer une réglementation ou de délivrer des prestations aux usagers.

Dans le sillage d’analyses conduites par la suite portant sur l’efficacité de l’Etat au niveau déconcentré , une profonde réorganisation des services de l’Etat à l’échelle des régions a été engagée à partir de 2004 puis poursuivie par une réforme de l’administration territoriale de l’Etat (RéATE), en 2007. Elle a conduit au regroupement en huit pôles des services départementaux et régionaux précédemment organisés selon une logique ministérielle.

En 2008, le Conseil de modernisation des politiques publiques a constaté un enchevêtrement inextricable de relations horizontales, transversales et verticales des services ; il a été décidé de revoir et corriger la réorganisation territoriale de l’Etat. Le nombre de ses directions régionales chargées de la conduite interministérielle des politiques publiques a été réduit de vingt-trois à huit structures.

A l’échelon départemental, il a fallu attendre le décret du 3 décembre 2009 pour faire évoluer significativement l’organisation en deux ou trois directions départementales interministérielles, modulable selon la taille du département.

Depuis le décret du 16 février 2010, le préfet de région a été placé dans une position d’autorité sur le préfet de département, sauf dans les domaines du droit des étrangers, de la police administrative et du contrôle de légalité. En outre, ce texte réglementaire a établi le niveau de responsabilité budgétaire non plus au niveau de chaque préfet de département mais à celui de chaque préfet de région.

Une nouvelle réforme de l’organisation territoriale de l’Etat est intervenue en 2015 à travers trois textes principaux :

  • la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions ;
  • le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant  nouvelle « charte de la déconcentration » fixe les nouvelles règles découlant du principe de déconcentration pour l’organisation des administrations civiles de l’Etat. Elle renforce le rôle des préfets dans la direction des services déconcentrés de l’Etat et dans la coordination de l’ensemble des opérateurs et institutions qui en dépendent ;
  • les deux décrets du 17 décembre 2015 fixent l’organisation territoriale de l’administration de l’Etat qui résulte de la création de nouvelles régions.

Cette réforme présente plusieurs caractéristiques parmi lesquelles les suivantes :

  • elle a simplifié la carte administrative et son fonctionnement en faisant du préfet de région le responsable à la tête des principaux services déconcentrés, aux côtés du recteur académique et du directeur régional de santé ;
  • elle a renforcé la proximité de l’administration de l’État avec les territoires et les citoyens par la réactivation du niveau départemental : plus d’un million de fonctionnaires et d’agents publics exercent dans l’administration territoriale de l’État, dont seulement 37 000 dans les services déconcentrés régionaux, hors Éducation nationale ;
  • elle vise à améliorer l’efficacité, faire des économies, moderniser les méthodes de travail par, notamment, la spécialisation des sites des différentes directions régionales, l’apparition du principe de mutualisation des fonctions supports des administrations de l’État et, enfin, la modernisation des méthodes de travail, sous-entendant le développement de l’administration numérique  ;

La mise en œuvre de ces évolutions remet en question l’équilibre des pouvoirs à l’échelon territorial.

Les bouleversements de la réforme territoriale de l’Etat

À travers les réformes de ces dernières années, ladministration territoriale de lEtat a connu des bouleversements sans précédents. Son accompagnement en termes de ressources humaines est estimé comme imparfait par certains observateurs :

  • la nouvelle organisation des services déconcentrés de l’Etat, dans le cadre de la Réforme de l’administration territoriale de l’Etat (Réate) – avec comme objectifs affirmés de restreindre le nombre de directions départementales et régionales, de renforcer les rôles de pilotage des préfets de département et de région, et de conduire à des synergies sources d’économies de moyens –  naurait « trouvé quasiment aucune traduction en termes de gestion des personnels »  ;
  • le morcellement statutaire serait source de désorganisations et de divergences entre ministères dans leur gestion des ressources humaines  ;
  • alors que les agents sont placés sous lautorité des préfets, responsables au niveau territorial de la mise en œuvre des politiques publiques, leur gestion reste ministérielle et souvent centralisée ;
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  • dans certaines préfectures ou sous-préfectures, l’Etat serait « arrivé, en termes de réduction des effectifs, à la limite au-delà de laquelle certaines missions ne peuvent plus être remplies » .

La nouvelle architecture territoriale de l’Etat

La réforme de l’architecture territoriale de l’Etat conduite depuis 2015 aboutit à une construction nouvelle qui est celle d’un « Etat régional » , même si l’échelon départemental est bien maintenu sur tout le territoire national comme circonscription de l’Etat.

L’organisation régionale type dépendant du préfet de région repose sur plusieurs structures : la direction régionale des finances publiques (DRFiP) ; la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) ; la direction régionale de la culture (DRAC) ; la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ; la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ; la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) ; le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR).

Le préfet de région est assisté d’un comité de l’administration régionale (CAR) qui rassemble les préfets de départements, les chefs de pôles régionaux de l’Etat, le secrétaire général pour les affaires régionales, le secrétaire général placé auprès du préfet du département où est le chef-lieu de la région et le trésorier-payeur général de région.

L’organisation départementale-type dépendant du préfet de département repose quant à elle sur les structures suivantes : la direction départementale des finances publiques (DDFiP) ; la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) ou direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) ; la direction départementale des territoires (DDT) ; la direction départementale de la sécurité publique (DDSP).

Cette réorganisation des services de l’Etat dans ces territoires, est effective depuis le 1er janvier 2016.

Des schémas stratégiques de l’Etat en régions ont été élaborés à la fin du premier semestre 2016 par les préfets de région, qui articulent les différents services de l’Etat, et préparent la refonte de la carte des arrondissements.

La recherche d’une méthode de réforme de l’Etat à l’échelon territorial

Certains soulignent que la modernisation de l’action publique est la « mère de toutes les réformes », et la seule voie possible pour remédier aux difficultés actuelles. Elle porte un triple enjeu :

  • le maintien d’un contrat social ;
  • l’anticipation, la préparation et l’accompagnement de la société aux mutations en cours ;
  • l’aide à la résorption des déficits publics, condition sine qua non d’une action publique efficace et durable ».
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Les conditions de mise en œuvre d’une réforme comptent tout autant que ses objectifs affichés car elles influent sur le résultat final. Plusieurs analyses conduites ces dernières années ont recommandé une attention particulière à plusieurs facteurs clefs de réussite d’une réforme des services déconcentrés de l’Etat.

En premier lieu, la mission de bilan de la révision générale des politiques publiques (RGPP) (menée de 2007 à 2012) a souligné, dans un rapport de 2012, le maintien d’un pilotage interministériel fort comme condition de succès pour toute réforme de l’Etat et proposé trois orientations pour garantir une action de modernisation qui améliore l’efficacité et la lisibilité des politiques publiques :

  • lancer un examen des politiques partagées avec d’autres acteurs, en commençant par les plus concernées par la décentralisation ;
  • au sein de l’administration de l’État, donner la parole aux agents afin de recueillir leurs propositions permettant d’alléger des tâches inutilement lourdes ou d’éliminer des incohérences dans le fonctionnement des services ;
  • faire de l’amélioration de la gestion des ressources humaines un chantier prioritaire, afin de se donner les moyens d’accompagner les futures réformes.
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En second lieu, lors de la présentation de ce rapport de bilan de la RGPP, en 2012, le Premier ministre a indiqué que le projet de modernisation de l’action publique serait étroitement articulé avec la nouvelle étape de décentralisation, pour une efficacité renforcée de l’action publique et une meilleure organisation des compétences entre l’État et les collectivités territoriales.

En troisième lieu, en 2013, la Cour des comptes  a souligné que la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) n’a jamais reposé les questions principales : quelle est la meilleure organisation en fonction des objectifs de l’État sur chaque politique publique et des caractéristiques des organisations ?

Enfin, notons qu’une des problématiques de la modernisation de l’action publique porte sur la façon de concilier l’approche d’ensemble (globale) – la vision stratégique – avec la mise en œuvre opérationnelle au plus près du terrain (locale) – la vision pragmatique.

L’art de réformer (l’état des lieux, l’écoute des agents, la place accordée aux acteurs des évolutions, les finalités, etc.) sont sources d’enseignement pour les collectivités territoriales dans leurs propres démarches de modernisation de leurs organisations.

Dans une enquête de 2023 , la Cour des comptes a posé un regard sur les évolutions de la déconcentration intervenues depuis 2016, année correspondant à la constitution des grandes régions et au lancement du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG).

Cette enquête dégage plusieurs constats que nous citerons :

1. L’État peine à stabiliser une vision stratégique de son réseau préfectoral. Il a successivement affirmé au cours de la dernière décennie la prééminence du niveau régional, renforcé en 2010 par la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), puis engagé un retour à l’échelon départemental comme échelon privilégié de l’action territoriale de l’État, relégitimé par l’éloignement consécutif à la constitution des grandes régions au 1er janvier 2016 et le besoin de proximité révélé par la gestion de crises successives (gilets jaunes, crise sanitaire).

L’autorité sur les préfets de département, confiée aux préfets de régions depuis 2010 (à l’exception des domaines du contrôle de légalité, de l’ordre public et de la sécurité des populations et des étrangers), est le plus souvent exercée avec retenue et dans un esprit de collégialité. Toutefois, la constitution des grandes régions a accru la difficulté pour les préfets de département de mobiliser à leur profit l’expertise des directions régionales, alors que les moyens sur lesquels ils peuvent s’appuyer au niveau départemental ont été fortement réduits.

Cette vision stratégique comporte en outre de nombreux angles morts. Ainsi le ministère de l’intérieur n’a toujours pas clarifié ses attentes vis-à-vis des échelons zonal et infra-départemental.

2. Les fortes réductions d’effectifs des sous-préfectures (-21 % entre 2016 et 2020) « compromettent la viabilité de nombre d’entre elles, alors que les attentes à leur égard restent fortes, notamment de la part des élus locaux ». La labellisation de 35 sous-préfectures en espaces France services permet toutefois « une réouverture bienvenue au grand public ». 

Les suppressions d’emplois mises en œuvre depuis la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) en 2010 (4748 ETP supprimés dans les préfectures entre 2010 et 2020) ont affecté les effectifs des préfectures, qui ne comptent plus à ce jour qu’un peu plus de 29 000 agents.

Certaines missions confiées aux préfets sont aujourd’hui « sous tension, en raison de moyens devenus insuffisants ». C’est particulièrement le cas des services rendus directement au public (délivrance des titres, accueil, séjour des étrangers, etc.).

Parallèlement, l’exercice des contrôles de légalité et budgétaire confiés aux préfets est fragilisé par l’érosion des moyens humains. Certaines préfectures « ne sont plus en mesure de respecter les délais réglementaires de réponse aux collectivités territoriales ».

La mise en œuvre du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG), reposant sur la dématérialisation des titres, avait entraîné la fermeture des guichets des préfectures, à l’exception de ceux des services chargés des étrangers. La restauration d’une fonction d’accueil du public s’est de nouveau imposée, en particulier au bénéfice des personnes qui peinent à utiliser les outils numériques. La « mise en œuvre de cette fonction par des points d’accueil numériques reste inégale » selon les préfectures.

3. La coordination par le préfet des services de l’État placés sous son autorité « ne pose pas de difficulté, même si l’autorité des préfets de région sur les directions régionales n’est pas aussi forte que celle des préfets de département sur les directions départementales interministérielles ».

Le positionnement du représentant de État est « trop souvent fragilisé par la tendance des administrations centrales à ne pas respecter le principe de déconcentration des politiques publiques, en particulier par un usage excessif des appels à projets nationaux ».

De même, selon la Cour, « les marges de manœuvre des préfets dans la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales sont réduites par un encadrement excessif de ces exercices par les administrations centrales, se manifestant notamment par des délais de réalisation incompatibles avec la prise en compte des spécificités territoriales ».

Enfin, la Cour relève une « tendance à chercher à gérer les crises au niveau central, ce qui limite l’adaptation au contexte local et peut compliquer leur gestion par le préfet ».

Les administrations centrales ont, en outre, « tendance à réinvestir leurs services déconcentrés dans des compétences décentralisées, alors même que leurs moyens humains ont été fortement réduits et qu’ils ne disposent souvent plus en leur sein des compétences nécessaires pour ce faire ».

Si la mise en place de feuilles de route interministérielle « peut constituer par ailleurs un outil intéressant, le fait de fixer des objectifs aux préfets et de les évaluer sur la mise en œuvre de politiques relevant des compétences des collectivités territoriales est emblématique de cette tendance ». La répartition des compétences entre État et collectivités territoriales devant être respectée, la Cour demande que « les feuilles de route des préfets soient recentrées sur les domaines relevant des compétences de l’État ».

La Cour a constaté que, sur plusieurs sujets essentiels pour l’organisation des préfectures (répartition des moyens entre missions, sous-préfectures d’arrondissement, promotion de l’interdépartementalisation…), « le ministère de l’intérieur s’interdisait, au nom de la responsabilité des préfets, de définir des orientations nationales précises et de les mettre en œuvre, alors que cette définition relève de sa propre responsabilité ».

« Cette retenue est d’autant plus paradoxale qu’elle s’accompagne d’une réduction des marges de manœuvre des préfets dans la mise en œuvre de leur action », comme en témoignent, par exemple, les feuilles de route prioritaires, le fort encadrement national de l’exercice de contractualisation avec les collectivités territoriales ou la tendance à la recentralisation de la gestion de crise.